Les cinquante premières années du Syndicat de la Librairie Ancienne et du Commerce de l’Estampe en Suisse

August Klipstein et William S. Kundig

En 1951, le Slaces perdit deux de ses principaux membres fondateurs, qui restent encore dans les mémoires de nombreux libraires antiquaires et collectionneurs du monde entier comme ayant été tous deux aussi bien d'excellents commerçants et commissaires-priseurs que des personnalités originales, et qui, par leur influence et leurs catalogues, resteront aussi un exemple pour l'avenir. Le 4 avril, à Berne, August Klipstein mourut en plein travail. Ses connaissances étendues, sa promotion intelligente des gravures de maitre, anciennes et modernes, et sa personnalité rayonnante sont restées le symbole vivant de son entreprise, que Klipstein, ne en 1855 à Gent d'une mère flamande et d'un père hessois, avait fondée en 1919 après avoir fait des études artistiques avec Rich. Gutekunst (aujourd'hui Galerie Kornfeld).

Le 29 octobre de la même année, William S. Kundig s'éteignit à l'âge de 58 ans, des suites dune grave maladie. Sa mort fut ressentie comme une lourde perte par tous les collègues et les collectionneurs. En 1914, à l'âge de 21 ans seulement, ce fils de libraire genevois avait déjà ouvert sa propre affaire; sa carrière professionnelle, son dynamisme personnel, son éloquence et son esprit universel furent extraordinaires. En prévision de l'AG de 1950, Kundig avait écrit au comité qu'il ne pourrait pas y participer en raison de sa maladie et que, par conséquent, il souhaitait également abandonner sa charge présidentielle. Les collègues présents à l'AG lui firent parvenir un télégramme (le remerciant de sa longue et fructueuse activité de président et lui souhaitant des vœux de prompt rétablissement) qu'ils signèrent ‘les orphelins’ - c'est exactement ce qu'ils ont dû ressentir après sa mort.

En 1950 fut élu le nouveau Président, Nicolas Rauch. Le commerce international au début des années 50 est caractérisé par une libéralisation en constante progrès et, en parallèle, uns conjoncture épanouissante. Il serait trop long de mentionner ici toutes les étapes de la libéralisation (qui furent toujours mentionnées avec soulagement dans les procès-verbaux et complétées par les efforts nécessaires pour éliminer les obstacles- restants, comme, par ex., le ‘certificat d'origine’); nous nous contenterons de mentionner que, dans le cadre d'un accord de l'UNESCO, les biens culturels (y compris les œuvres littéraires) furent libérés, en 1953, des charges douanières (mais immédiatement frappes d'un taux d'ICHA plus lourd).

Congrès LILA 1952, Genève

Le premier congrès de la Ligue organise par le Slaces eut lieu en 1952, à Genève, après Copenhague (1948), Londres (1949), Paris (1950) et Bruxelles (1951). Lors de la fixation de la date exacte (du 21 au 24 juillet), les divers souhaits émis donnèrent lieu à un véritable casse-tête chinois. La premiere date prévue, debut août, ne convenait pas aux anglais: «as the week considered contains the English Bank Holiday, which will mean great congestion in travel»; une autre proposition de date ne fut également pas acceptée «because of the French book-sellers who will be away for their holidays». Hormis le décompte final et les pièces justificatives des frais, il ne reste pratiquement aucun document de ce congrès, de sorte que nous devons à nouveau nous inspirer des procès-verbaux. A l’AG du 5 avril, «Monsieur Rauch fit une brève introduction et recommanda à l'Assemblée, surtout pour des raisons de prestige, d'organiser ce congrès et de le faire dans un cadre simple mais digne»; il semble donc que l'invitation n'ait pas été acceptée sans quelques contestations. Nicolas Rauch présenta ensuite à l'Assemblée une proposition de programme, - «les collègues étrangers souhaitent tous un cadre simple, adapté aux moyens financiers du syndicat» - dont les coûts s'élevaient à environ 10'000 francs. Comme le syndicat ne disposait pas de fortune propre (le procès-verbal indique, à ce propos: «Monsieur Schumann regrette qu'on ait jamais donné suite à son ancienne proposition d'augmenter la cotisation des membres»), les membres furent pries de fournir les liquidités nécessaires à financer le congrès, en fonction de leurs moyens et à fond perdu, «alors que la fortune du syndicat, de l'ordre de fr. 1'S00.-, servira de garantie de déficit». Il fut également décidé de tenir une exposition de vente durant le congrès et de céder le 10% des ventes pour les frais.

Malheureusement, aucun exemplaire du programme imprimé n’est parvenu jusqu'à nous; mais les justificatifs de frais nous apprennent qu'une réception fut donnée le premier jour à l'Hôtel du Rhône et que, le soir, eut lieu une promenade avec diner sur le lac Léman, à bord du ‘Vevey’. Le jour suivant, on emmena les participants au Palais des Nations de l'ONU et le troisième jour fut consacre à la visite de la Bibliothèque Bodmeriana, à Cologny.

Le lendemain, le congrès prit fin avec le ‘Diner des adieux’ (137 participants et invités) au restaurant du Parc des Eaux-vives. Celui qui se souvient encore de la vogue dont bénéficiaient à l'époque les petits mouchoirs ‘Stoffels’, qui furent offertes en guise de petite attention pour les dames et les amies, ne s'étonnera pas d'en trouver la facture (fr. 102.90 pour cinq douzaines); la facture que la ‘Davidoff & Co, Manufacture de Cigares’ envoya ensuite au syndicat (pour un montant assez conséquent de fr. 153.25) évoque en chacun qui l'a encore connu le souvenir de Michael Slatkine et de l'odeur de cigare qui l'enrobait en permanence, car il a sans doute veille à assurer le bon approvisionnement en tabac des congressistes. (Offrir, lors des invitations ou des assemblées, des cigares et des cigarettes aux hôtes était à l'époque un devoir de politesse). Mais les principaux responsables de l'organisation du congrès furent certainement Nicolas Rauch et son épouse.

Quoiqu'il en soit, le congrès genevois fut une manifestation réussie. Le rapport annuel de l'année suivante indique: «Bien que nous ne disposions que de moyens financiers limités, nous avons réussi à donner au congrès un cadre honorable et nous avons pu nous réjouir en voyant que le séjour à Genève avait laisse un souvenir très agréable à nos collègues, principalement à ceux de l'étranger», et E. Engelberts, qui tenait la caisse du congrès, termine son rapport en ces termes:

«Les dépenses du congres pourront être couvertes sans faire appel à la caisse du syndicat. J'en suis ravi.»

Genève fut en outre le premier congrès de la Ligue auquel participèrent les libraires antiquaires allemands, après que, grâce aux bonnes relations d'Helmut Domizlaff, leur syndicat eut été accepté dans la Ligue au précédent congrès de Bruxelles. Percy H. Muir (dont le mandat de Président prenait fin à Genève), qui dirigea le congrès avec souveraineté et humour, contribua à la réussite de la concertation et à l'établissement de contacts anciens ou nouveaux; il n'oubliait pas non plus de rappeler les mérites des suisses, surtout de W. S. Kundig, mort peu auparavant, et de son successeur, Nicolas Rauch.

«Les objets d'art sont-ils des marchandises d'occasion?»A l'AG de 1954, à sa demande expresse, Nicolas Rauch tut remplacé dans sa fonction de président par Alfred Frauendorfer. Durant les années suivantes, le nouveau comité eut à nouveau à se battre avec les autorités sur des questions fiscales. Lors de la session de décembre, l'extension de l'impôt sur le chiffre d'affaires au commerce d'occasion tut acceptée par les deux chambres fédérales, si bien que, des le 1.1.1955, «les marchandises usagées, par ex., les marchandises d'occasion, les antiquités et autres similaires» furent soumises à l'impôt. L'organisation faîtière (réunissant les trois syndicats du commerce d'art), constituée en mai 1952, essaya sans succès, par des requêtes fondées au Grand Conseil et au Conseil des Etats, de faire exclure les objets d'art de cette réglementation. Compte tenu de la reforme des finances fédérales, on n'abandonna pas l'espoir de pouvoir contrer cette nouvelle disposition avec ‘des mesures concertées de défense’. On tenta par tous les moyens de convaincre l'administration de l'ICHA: avec des expertises juridiques, «Les objets d'art sont-ils des marchandises d'occasion?» et «Est-il permis d'étendre l'ICHA à l'art puisqu'il entraîne une imposition en cascade», par des interventions et lors de discussions directes. Une commission fut encore constituée (comprenant Messieurs Kornfeld, Lang et Schumann), également chargée de fournir assistance et conseils aux membres; enfin, c'est presque un refrain familier que nous lisons dans la circulaire que le comité envoya aux collègues en les priants «de lui faire parvenir les copies des lettres à l'administration de l'ICHA et des réponses obtenues. Ces copies doivent nous aider à collecter des informations afin de pouvoir, sur la base de la présente correspondance, éventuellement progresser ensemble... Nous conseillons d'accepter les renseignements téléphoniques de l'administration de l'ICHA, mais uniquement à titre d'informations et, dans tous les cas, d'en demander une confirmation écrite». En liaison avec ce sujet, un conseiller fiscal fut invite à l'AG de 1956 (le 3 juin, un dimanche matin, au restaurant Belvoir à Zurich) pour y présenter un expose sur l'ICHA et sur les problèmes de comptabilité et de contrôle y relatifs. Il fut certainement accueilli avec un vif intérêt, mais le procès-verbal mentionne sèchement «suivi d'une discussion. Ensuite, repas en commun au grand air». Celui qui a déjà goûté du plaisir de se trouver, au début juin, sur la terrasse du restaurant dans le parc de Belvoir comprendra que, trois ans plus tard, l'AG revint y tenir ses assises. Mais le beau temps n'était plus de la partie. «Malheureusement, la réunion des libraires ne put pas jouir des beautés de l'exposition d'horticulture, car la pluie tombait de manière ininterrompue et il était impossible de rester dehors».Entre-temps par contre, le 11 mai 1958, le peuple accepta la reforme des finances fédérales et le problème de l'ICHA fut (pour le moment) règle. Grâce aux efforts du SBVV, les livres furent exemptes d'ICHA des le 1.1. 1959, alors que les œuvres d'art, les autographes et les gravures demeuraient imposables.

Caisse mutuelle de secours

II faut maintenant décrire ici un autre sujet, de manière plus détaillée et plus cohérente, car les faits, insuffisamment connus, suscitèrent déjà bien des confusions - il s'agit de notre ‘caisse mutuelle de secours’! Cette caisse, proposée par Franz Rosenthal, fut vivement discutée et approuvée lors de l’AG de 1954. On fonda de manière formelle une caisse mutuelle de secours, «dont la comptabilité sera séparée de la comptabilité courante et le capital déposé auprès d'une banque. 3'000 francs seront immédiatement dégagés de la fortune actuelle et, lors des assemblées ultérieures, les membres devront réserver d'autres contributions pour cette caisse»; on décida aussi d'élaborer un règlement et un acte de fondation. Mais ce projet bien intentionné était plus difficile à réaliser que prévu. `Apres avoir soumis à un avocat le projet d'acte de fondation, il s'avéra que les conditions légales et formelles d'une ‘fondation’ étaient, dans le cadre prévu, beaucoup trop complexes et pratiquement irréalisables. On décida alors, de laisser le fonds à accroitre dans la comptabilité du syndicat, sous forme d'une ‘caisse d'allocation de décès’. Il serait trop long de vouloir présenter ici toutes les propositions et les plans dont il est fait mention dans les procès-verbaux. On considéra même la possibilité de virer un montant à chaque cas de décès et on demanda à une assurance de calculer une proposition de prime, car on jugeait cette idée plus favorable que celle consistant à accroitre un fonds annuellement. Lors de l'AG de 1958, où ce sujet fut abordé, la prime annuelle calculée ramenait les membres au sol de la réalité. Nicolas Rauch expliqua «qu'il préférait que la caisse d'allocation de décès soit une caisse de secours pour les personnes vraiment dans le besoin et non une caisse qui verserait automatiquement un fonds en cas de décès». Ceci correspondait également au sens original de la requête et Ad. Seebass proposa «de ne pas introduire de nouvelle caisse mais de donner le droit au comité, ou éventuellement à des membres nommés à cet effet, de disposer de cas en cas d'un certain montant de la fortune du syndicat». Ceci fut alors arrêté dans quatre paragraphes qui constituent les ‘statuts de la caisse de secours’, datés du 5 juillet 1958, et envoyés aux membres avec le procès-verbal. Normalement, ces dispositions auraient également dû paraitre dans les statuts qui devaient être réimprimés.

Mais ceci na pas été fait et la caisse de secours disparut également des procès-verbaux des années suivantes; sans doute on en avait trop parle et les membres étaient probablement satisfaits que le sujet ne soit plus sur le tapis. Il ressort des rapports de caisse qu'un carnet d'épargne a été ouvert en 1958 et que fr. 4'000.- y ont été successivement virés jusqu'en 1963. Mais ces versements s'arrêtèrent là et, depuis cette date, la somme n'augmente que par les intérêts qu'elle rapporte.

A VAG de 1978, le fonds revint soudain sous le feu des projecteurs lorsqu'un membre s'enquérit de la ‘caisse d'allocation de décès’ et fit la proposition que «cette caisse soit, ou bien supprimée, ou bien modifiée, car le syndicat aurait alors à payer un montant correspondant à toutes les veuves des membres décédés jusqu'à ce jour». L'assemblée fut quelque peu perplexe, personne ne sachant plus très bien à quoi était destiné ce fonds (entre-temps, il s'était accru à fr. 6'000.-); on décida de rejeter la proposition et d'éclaircir la chose jusqu'à la prochaine AG. La création et le but de ce fonds furent brièvement présentés dans le rapport annuel suivant et les quatre paragraphes publies une nouvelle fois, avec l'indication que c'était par pure inadvertance qu'ils n'étaient pas encore dans les statuts imprimés. Lors de l'AG du 26 mars 1979, on discuta de l'opportunité de liquider le fonds ou de le maintenir, auquel cas la contribution de secours devrait être augmentée à fr. 3'000.-.

La décision pour le maintien et l'augmentation du montant maximal fut prise par 13 voix (contre 2 abstentions et une voix contre); de ce fait, les quatre dispositions y relatives auraient dû être enregistrées dans les statuts révisés de 1980. Mais le lecteur s'en doute: elles furent à nouveau oubliées et comme pratiquement personne ne conserve les anciens procès-verbaux, nous rappelons ici les quatre paragraphes de la ‘caisse de secours’:

« 1. Dans des cas de nécessité, le Syndicat peut verser un subside à des membres ou à leur famille.

2. Le montant et la date seront déterminés par le Comité, ou plus spécialement par des personnes de confiance désignées à cet effet dans chaque cas.

3. Le subside ne doit d'une façon générale pas dépasser le montant de fr. 3'000.-

4. Le nom du destinataire n'apparait pas dans les comptes et ne doit si possible pas être divulgué.»

Selon les derniers rapports de caisse, l'ancien carnet d'épargne est aujourd'hui liquidé et la somme accumulée a été intégrée dans la fortune considérable du syndicat. Dommage - dirait le chroniqueur - car ce carnet d'épargne témoignait de la bonne volonté d'un syndicat né à une époque où les conditions économiques étaient difficiles.

Eugene Reymond et Franz Rosenthal

Au milieu des années 50, moururent, bien trop tôt, deux autres membres fondateurs, qui n'avaient manqué pratiquement aucune AG et avaient contribué grandement à la prospérité de notre syndicat. Le 16 octobre 1954, Eugene Reymond, de Neuchâtel, décéda à la suite d'un accident tragique à l'âge de 55 ans. Eug. Reymond fut président du Slaces de 1943 ä 1945; il fut simultanément un membre éminent de la Société des Libraires et Editeurs de la Suisse Romande et un des initiateurs du Salon Romand du Livre. Jusqu'en 1982, sa veuve prit la succession de son magasin, riche en traditions, et, de 1969 à 1972, elle présida aux destinées de notre syndicat.

Agé seulement de 43 ans, Franz Rosenthal mourut au début de l'année 1956 d'une insidieuse maladie et, après cette perte tragique, son père se décida à fermer son commerce à Lucerne.

Conjoncture

En 1955, la Ligue tint pour la première fois un congrès dans une ville d'outre-mer, à New York; notre représentant, A. Frauendorfer écrivit à l'intention du syndicat un rapport détaillé et, conformément à son tempérament, plein d'humour.Ce congres ‘américain’ de 1955 fut l'occasion pour bien des commerçants européens de faire leur premier voyage au USA; il constitua un point marquant dans l'histoire d'après-guerre de la librairie ancienne. Le rapport annuel 1958/59 nous indique le niveau de développement de la conjoncture de la fin des années 50. «Les derniers mois entrainèrent avec eux une nouvelle augmentation des prix sur les grandes ventes aux enchères en Suisse et à l'étranger, concentrée toutefois sur les pièces de haut de gamme... Il semble qu'il y ait de l'argent partout et qu'il soit en perpétuel mouvement. Cependant, nous ne dissimulons pas nos craintes face à l'évolution qui est sur le point de s'emballer. Nous savons également qu'elle est justement la cause des difficultés des petites entreprises qui ne disposent pas, par ex., de la publicité gratuite de la presse quotidienne pour les grandes ventes aux enchères, publicité qui dirige une partie de l'offre dans des canaux qui se situent au-delà des nôtres» - aujourd'hui (1989), il suffirait d'ajouter le seul mot ‘télévision’ à la suite de ‘publicité gratuite’!

•  1960 - 1970